22

Jaina sortit de sa manœuvre en tonneau juste sur les talons du chasseur TIE ennemi. Elle décocha un missile par pur réflexe et l’engin disparut au milieu d’une brève boule de feu écarlate. Deux secondes plus tard, elle avait détruit l’ailier du premier TIE et le reste de son escadron avait abattu trois autres appareils.

Dans la Force, elle devina les pilotes ennemis, incapables de percevoir sa présence à elle, qui étaient en train d’affronter les Apôtres de Kyp.

— A bâbord, soixante degrés, Escadron Jumeaux, dit-elle. Trois, deux, un, top !

Ses trois détachements de quatre appareils roulèrent sur l’aile, se croisèrent et reprirent leur position en une manœuvre parfaite.

— Accélération ! ordonna Jaina en poussant sur sa commande des gaz.

Elle avait déjà identifié sa future cible et projeta son esprit dans le lien mental pour signaler son arrivée à Kyp.

Kyp lui répondit en transmettant une série de pensées et de sensations qu’on pouvait traduire par : Si tu veux te charger de quelques-uns de ces affreux, il ne faut pas te gêner. Le lien mental était très puissant en raison de la présence de nombreux Jedi. Tous avaient la sensation d’avoir été invités à participer à une vaste conversation privée. Même si l’escadron de Kyp affrontait un ennemi supérieur en nombre, il ne semblait guère menacé.

Comme c’était étrange de percevoir l’ennemi à nouveau dans la Force ! Les Yuuzhan Vong défendaient leurs convois et leur arrière-garde au moyen de mercenaires et de forces empruntées aux Brigades de Paix. Ces pilotes ennemis qui avaient défendu Duro étaient toujours perceptibles dans la Force et, bien souvent, Jaina pouvait deviner ce qu’ils allaient entreprendre avant même qu’ils aient pris la moindre décision.

Jaina n’avait plus eu l’occasion de discerner ses ennemis dans la Force depuis que la Flotte avait attaqué Ylesia, quelques semaines auparavant. Le quartier général des Brigades de Paix avait également été défendu par des natifs de cette galaxie, ce qui rendait le combat beaucoup plus facile. Mais l’attaque avait mal tourné pour d’autres raisons. Manque de renseignements, manque de planification, manque de chance. Cette attaque-là devait bien se dérouler. Et Jaina ferait de son mieux pour que cela se passe ainsi.

Les cibles de Jaina étaient des Howlrunners, ce qui expliquait que Kyp ne se soit guère inquiété jusqu’alors. Jaina ordonna à chacun de ses pilotes de se sélectionner une cible, de la pilonner et de rejoindre la formation de l’autre côté du champ de bataille afin de se préparer à un nouvel assaut.

L’attaque de Jaina transforma un Howlrunner en une tornade de flammes et le cri de panique de son pilote résonna dans la Force. Les autres membres de son escadron parvinrent à endommager ou à détruire leurs cibles respectives. Jaina ordonna à ses chasseurs de se regrouper. Dans la Force, elle entendit la voix laconique de Kyp lui suggérant d’aller chercher d’autres cibles.

A ce moment précis, la présence de Jacen rayonna dans la Force et Jaina sut exactement où il voulait qu’elle se rende et comment il souhaitait qu’elle utilise ses bombes furtives.

— C’est parti ! répondit Jaina.

 

Jacen se trouvait sur le pont du vaisseau étendard de l'Amiral Kre’fey, le croiseur d’assaut Bothan Ralroost. Ses vacances sur Mon Calamari avaient duré trois semaines. Après quoi, Luke lui avait dit qu’il avait le choix entre travailler pour la Grande Rivière et rejoindre Jaina et la Flotte sur Kashyyyk.

Luke n’avait été finalement que peu surpris par l’option choisie par Jacen.

Il avait quitté la vie sur Mon Calamari sans regret. Certes, il avait bien profité de ce répit, loin de la guerre, il avait apprécié la compagnie de ses parents, de Luke, de Mara, de Danni Quee. Mais, autant que Luke, il savait qu’il était temps de passer à autre chose.

Une fois Jacen sous les ordres de Kre’fey, son expérience avec le lien mental Jedi sur Myrkr lui avait permis de rattraper prestement les semaines d’entraînement militaire auxquelles il n’avait pas pu assister. Avec le temps, il était devenu évident que ses talents étaient plus utiles sur le plan spatial que sur le plan tactique. Grâce à la Force, à laquelle il fallait ajouter les esprits et perceptions combinés de tous les Jedi, Jacen pouvait obtenir une vision globale du champ de bataille. Il pouvait percevoir où placer les éléments tactiques de la Flotte, où lancer une attaque, où organiser un repli ou bien tenir une position. Puisque les autres Jedi étaient ses yeux et ses oreilles, il pouvait ressentir la nécessité de déplacer un escadron vers un endroit précis, de faire reculer la Flotte vers un autre ou bien de tenir une position offensive ailleurs. Il aurait été incapable d’expliquer pourquoi il le savait. Il le savait, point.

En concentrant ses ondes mentales sur les individus qui formaient le lien psychique, il était capable de discerner les personnalités de chacun des pilotes : Corran Horn, avec sa détermination butée ; Kyp Durron, qui pilotait en contrôlant ses colères ; Jaina, avec ses tactiques presque mécaniques, le cerveau bouillonnant dans une masse de calculs.

Depuis quelques jours, tout n’était plus que calculs pour Jaina. Elle s’était transformée elle-même en arme – le Sabre des Jedi – et ne semblait vouloir accorder de place à rien d’autre. Si Jacen essayait de lui parler d’autre chose que de son travail, d’autre chose que des nécessités quotidiennes du combat et de la survie, elle ne répondait même pas. C’était un peu comme si l’essentiel de sa personnalité avait tout bonnement cessé d’exister.

C’était, d’ailleurs, assez douloureux à observer. Jacen aurait très bien pu s’offusquer de l’attitude de Jaina s’il n’avait pas été aussi inquiété par les dégâts qu’elle devait imposer à son propre esprit.

Maintenant. Il entendit la Force lui parler à l’oreille et ordonna à Saba Sebatyne et à ses Chevaliers Errants de lancer une attaque éclair sur un croiseur ennemi.

Deux mois d’assauts constants et d’échauffourées avaient prouvé que les valeurs essentielles de Jacen ne se démontraient pas dans le cockpit d’un chasseur stellaire mais plutôt sur le pont d’un vaisseau amiral, là où le jeune homme pouvait organiser les mouvements d’une armada tout entière. C’était avec enthousiasme que Kre’fey avait accueilli Jacen à bord du Ralroost.

Là, au beau milieu des tirs de turbolasers et des explosions de missiles s’écrasant contre les boucliers déflecteurs, il devina où Jaina et son escadron devaient se rendre.

Soudain, dans le tourbillon des formations de chasseurs filant à travers l’espace, Jacen perçut quelque chose d’autre tapi dans les ténèbres, quelque chose qui préparait son armement.

— Escadron Cimeterre, dit-il en réaction à cette nouvelle donnée, tenez-vous prêt…

 

— Escadron Jumeaux, dit Jaina. Tournez vers Duro à mon signal. Trois, deux, un, top !

L’Escadron des Soleils Jumeaux exécuta une parfaite manœuvre de croisement, ce qui plaça le disque de Duro droit devant eux. C’était la première fois que Jaina voyait la planète depuis que celle-ci était tombée aux mains de l’ennemi. Elle y avait séjourné dans un hôpital militaire, lorsqu’elle avait été blessée. Sa cécité, la dépendance totale aux autres, les vents de conspiration, une offensive Yuuzhan Vong de grande envergure sur le point d’éclater… Ses souvenirs de ce monde n’étaient guère réjouissants.

Mais Duro avait changé. La planète était différente. Jaina se souvenait d’une boule grise et brune, striée de déserts, jonchée de scories. La planète était désormais verte, tapissée d’une végétation luxuriante. Les Yuuzhan Vong avaient adapté à leurs besoins ce monde empoisonné. Ce faisant, ils avaient transformé une planète moribonde en une oasis de vie.

En s’approchant de Duro, Jaina aperçut le feu de mortels rayons énergétiques strier le disque de la planète. Trois croiseurs Yuuzhan Vong essayaient de tenir tête au gros de la flotte de Kre’fey près d’une formation d’imposants appareils de transport. Bien qu’inférieurs en nombre, à deux contre un, les croiseurs ennemis se battaient farouchement. Les pilotes de chasseur n’avaient pas été réquisitionnés parmi les équipes hétéroclites des Brigades de Paix. Il s’agissait bien de guerriers Yuuzhan Vong de première classe à bord de leurs coraux skippers. Leur statut paraissait évident, considérant leur méthode de combat qui faisait appel à un haut niveau d’intelligence tactique, en dépit du brouillage de leur yammosk.

Jaina vit l’un des croiseurs ennemis exploser en un torrent de flammes et de débris. Elle perçut la satisfaction de Saba Sebatyne et des membres de son Escadron des Chevaliers Errants qui avaient pris part à cette offensive. Occupez-vous du croiseur suivant, transmit Jacen dans la Force et Jaina lui répondit par un acquiescement silencieux.

— Premier détachement en position, dit-elle. Deuxième détachement juste derrière nous. Troisième détachement, restez en arrière pour nous couvrir jusqu’à ce que nous soyons passés, puis rejoignez-nous.

Lowbacca et Tesar confirmèrent l’ordre.

— Je lance mes bombes furtives, déclara Jaina.

Les missiles sans carburant, chargés d’explosifs, jaillirent des râteliers de son Aile-X. Par le truchement de la Force, Jaina les propulsa devant elle, ralentissant légèrement la progression de son chasseur afin d’accroître la distance entre l’appareil et les fusées destructrices. Elle plaça les missiles sur une trajectoire visant l’arrière du croiseur ennemi puis elle reporta son attention sur l’attaque de son escadron. Elle adopta un cap différent sur la cible et décocha ses fusées traditionnelles et ses lasers, histoire de duper les basals dovins. Ceux-ci s’emploieraient à aspirer les missiles à fragmentation sans remarquer l’approche des bombes furtives, beaucoup moins visibles.

Devant elle, l’espace s’illumina sous l’action des étincelants tirs de laser, des projectiles au magma, des missiles à fragmentation et des vaisseaux disparaissant dans les flammes. Jaina savait qu’il s’agissait de la partie la plus dangereuse de son approche. Elle allait voler entre les vaisseaux capitaux, eux-mêmes occupés à se pilonner l’un l’autre à bout portant, et risquait d’être vaporisée par le tir d’un de ses alliés sans même s’en rendre compte.

Elle savait pourtant qu’elle ne courait pas un grand danger. Elle sentit la Force à ses côtés, bien plus tangible qu’un missile ou qu’un tir de turbolasers. Cette fois, la Force ne la laisserait pas tomber.

Ses rayons laser ratissèrent la coque du vaisseau ennemi. Les basals dovins aspirèrent ses missiles à fragmentation et l’une de ses bombes furtives. Elle vit cependant un geyser de flammes brillantes monter de la poupe du vaisseau. Deux autres bombes furtives venaient de frapper l’ennemi. Tout en redressant le nez de son chasseur, d’autres fusées frappèrent la zone infernale.

Le deuxième détachement, dirigé par Lowbacca, et progressant à six secondes derrière celui de Jaina, parvint à décocher ses missiles avec succès. Le croiseur ne fut pas totalement détruit mais il était incapable de se défendre avec efficacité. Les croiseurs de la Nouvelle République passèrent à l’action, frappant sans cesse, lançant attaque après attaque. Le vaisseau Yuuzhan Vong était perdu.

— Premier détachement ! Deuxième détachement ! Coraux skippers à vos trousses !

La voix de Tesar n’avait pas retenti dans la Force, mais dans les écouteurs de Jaina.

— En ciseaux, Lowie ! appela Jaina. Je passe par la droite.

Une formation filerait par la droite, l’autre par la gauche.

Elles exécuteraient toutes deux des va-et-vient afin de se débarrasser des chasseurs ennemis.

— Négatif, Jumeaux Un ! cria une voix sévère.

C’était une voix à laquelle Jaina avait appris à se fier. Derrière elle, les coraux skippers explosèrent et illuminèrent l’éternelle nuit cosmique.

— Merci, Colonel Harona, dit Jaina.

Elle vit les colossaux propulseurs ioniques des appareils de l’Escadron Cimeterre filer devant elle par la verrière de son cockpit.

— Ne me remerciez pas, dit Harona. Jacen nous a dit que vous pourriez avoir besoin de nous à cet instant précis.

Parfois, songea la jeune femme, Jacen a quelque chose de vraiment inquiétant.

Le deuxième croiseur ennemi n’était plus qu’une épave en proie aux flammes, incapable de tirer, incapable de se défendre. Il ne restait plus qu’un seul appareil Yuuzhan Vong face aux six vaisseaux de guerre de Kre’fey. Trois d’entre eux se concentrèrent sur le croiseur pendant que les trois autres, et les engins de plus petite taille, plongeaient vers les massifs appareils de transport. Un tiers de ceux-ci tentèrent d’aller se poser sur Duro mais explosèrent avant même d’avoir pu atteindre les premières couches de l’atmosphère de la planète. Les autres se dispersèrent et furent méticuleusement pris en chasse, l’un après l’autre, par les éléments de la Flotte républicaine.

Après la destruction des vaisseaux de transport et du dernier croiseur, les appareils de Kre’fey se rassemblèrent en orbite basse au-dessus de Duro. Ils commencèrent à bombarder au sol tout ce qui pouvait ressembler à des damutek de guerriers, à des entrepôts, à des centres de commandement, des usines ou bien des astroports.

Jaina fut incapable de décider si l’idée de ce bombardement massif depuis l’espace lui paraissait satisfaisante. Dans la Force, elle perçut la sévère désapprobation de Jacen à ce sujet. Elle comprenait cependant les avantages de frapper un ennemi depuis une position relativement sûre. Mais les bombardements étaient contraires à son instinct et à son entraînement de Jedi, qui stipulaient de se concentrer sur des actions plus précises, moins hasardeuses.

Mais, malgré l’attitude des Jedi, le bombardement de l’ennemi depuis l’orbite faisait partie des ordres de Kre’fey. Il était facile de répondre à la première question de l’amiral – Comment puis-je faire du mal aux Yuuzhan Vong, aujourd’hui ? – en faisant tout sauter.

« Rappelez-vous bien ceci, avait déclaré Kre’fey, ils ont détruit des planètes entières en envoyant des formes de vie infectieuses depuis l’orbite. Rappelez-vous ce qu’ils ont fait sur Ithor. Ce que nous sommes en train de faire, en comparaison, peut paraître presque clément ! »

Effectivement, songea Jaina. Pour peu que cela ne dégénère pas.

— Escadron Jumeaux, regroupez-vous ! appela-t-elle. Préparez-vous à l’appel.

Ses chasseurs regagnèrent chacun la formation qu’on leur avait assignée. Dans la Force, Jaina sentit la fierté de ses pilotes, la joie d’avoir accompli leur devoir. Le fait d’avoir insisté pour qu’ils s’entraînent jusqu’à l’épuisement avait enfin payé. Dans les trois mois qui avaient suivi sa visite sur Mon Calamari, des mois d’attaques, d’échauffourées, d’alertes et de dangers, elle n’avait pas perdu un seul pilote. Trois Ailes-X avaient été détruites, ou endommagées au point d’être irréparables, mais leurs pilotes avaient toujours réussi à s’éjecter des appareils en perdition et avaient été secourus.

Ses six nouvelles recrues étaient désormais des vétérans, tous avaient de nombreux appareils Vong à leur tableau de chasse. Quelques semaines auparavant, Jaina avait surpris son équipière Neimoidienne, Vale, en venant s’asseoir à côté d’elle au moment du petit déjeuner. Elles s’étaient lancées dans une conversation qui n’avait rien à voir avec les tactiques de combat ou les carences de Vale en matière de pilotage.

Vale et les autres bleus avaient fait leurs preuves. Ils méritaient qu’on fasse un peu mieux connaissance avec eux.

Mais, même si Jaina se montrait un peu plus aimable qu’elle ne l’avait été, elle évitait les liens amicaux. Sa détermination n’avait pas fléchi au cours des mois. Elle savait que les raids en territoire Yuuzhan Vong avaient été planifiés avec la plus extrême attention afin de tirer parti des faiblesses temporaires de l’ennemi. Les attaques n’avaient été lancées que contre des forces inférieures en nombre ou bien au cours d’embuscades. La flotte alliée n’hésitait pas à battre en retraite lorsque l’ennemi s’avérait plus résistant que prévu. Dans bien des cas, les adversaires n’avaient été que des soldats de second ordre, des agents des Brigades de Paix ou des mercenaires. Ils avaient même affronté des ouvriers Yuuzhan Vong, entraînés à la hâte, dont les manœuvres étaient parties à vau-l’eau dès que leur yammosk avait été brouillé. Les jeunes recrues de Jaina s’étaient aguerries au cours de batailles qui s’étaient transformées en victoires au prix d’immenses efforts.

Jaina savait cependant que les conditions ne seraient pas éternellement aussi favorables à son Escadron des Soleils Jumeaux. Tôt ou tard, l’ennemi lancerait une nouvelle offensive et ses recrues seraient en première ligne face à des guerriers Yuuzhan Vong supérieurs en force ou bien attaquant depuis des positions avantageuses. Tous les combats dont ses pilotes auraient pu faire l’expérience jusqu’alors ne seraient que des enfantillages.

Le fait de savoir que cette offensive ennemie finirait bien par se produire maintenait Jaina en état d’alerte permanente. Ce n’était pas parce que les choses s’étaient plutôt bien passées jusqu’alors qu’il fallait se relâcher. En fait, elle avait décidé de se montrer plus dure que jamais afin d’éviter à ses pilotes de commettre des erreurs à cause d’un excès de confiance.

Fort heureusement, un certain nombre de détails avaient permis à Jaina de garder la tête froide. La présence de Kyp, puissante et étonnamment stabilisante, par exemple. Le calme irréel de Jacen. Les messages réguliers envoyés par ses parents, par Mara, par Luke… et par Jag Fel.

L’escadron de Jag était toujours occupé à chasser les Yuuzhan Vong sur la Voie Hydienne. Il n’hésitait pas, régulièrement, à partager avec elle ses frustrations de pilote vétéran obligé d’entraîner un grand nombre de bleus.

Elle éprouvait encore une certaine confusion par rapport à l’importance qu’elle devait allouer à Jag. Elle avait peur qu’il puisse représenter une distraction, qu’en le laissant un peu trop entrer dans sa vie, elle perde de sa vigilance. Mais ces instants d’hésitation étaient souvent accompagnés de moments au cours desquels elle rêvait de se trouver dans ses bras, imaginant la pression chaleureuse de ses lèvres sur les siennes…

Elle décida cependant que c’était une chance qu’ils soient ainsi séparés. Si Jag avait été auprès d’elle, Jaina aurait craint que le tourbillon de ses pensées et de ses désirs ne la submerge. Mais il y avait encore une part de son être qui souhaitait ardemment se laisser submerger.

Son cœur bondit dans sa poitrine lorsque tous les témoins de son cockpit s’allumèrent brusquement. Une force d’assaut Yuuzhan Vong venait de surgir de l’hyperespace. Sept vaisseaux capitaux de taille diverse se mirent soudain à vomir leur contingent de coraux skippers. Les Yuuzhan Vong chargés de défendre Duro avaient lancé un appel à l’aide mais cette assistance était arrivée un peu trop tard.

Pendant quelques instants, Jaina attendit sans savoir quelle tournure les événements allaient prendre. Les deux flottes étaient relativement équilibrées. Les croiseurs de Kre’fey n’avaient encaissé que peu de dégâts au cours de l’échauffourée et très peu de chasseurs avaient été perdus. Le lien mental des Jedi était un avantage que l’ennemi ne pouvait égaler. Une victoire relativement propre, sans pertes conséquentes, venait d’être remportée et les forces de la Nouvelle République étaient encore auréolées de cet avantage. Le moral des troupes ne serait jamais aussi haut. Si Kre’fey en donnait l’ordre, ses sections d’assaut se lanceraient la tête la première contre l’ennemi avec l’absolue certitude de gagner le combat.

Kre’fey pouvait gagner, il était à même de remporter deux victoires en une seule journée. Il devait bien s’en rendre compte.

— Croiseurs, regroupez-vous ! (L’ordre avait été lancé sur le canal de commandement.) Chasseurs stellaires, préparez-vous à l’appontage avant le saut dans l’hyperespace.

Jaina sentit sa tension se relâcher quelque peu. Son exaltation l’abandonna. Kre’fey préférait jouer la carte de la sécurité.

Il avait probablement raison, songea-t-elle. Peut-être que cette nouvelle section ennemie n’est pas la seule en route pour venir défendre Duro.

Mais Jaina se sentit déçue. Elle savait que la Force était avec elle. Elle ne le serait peut-être pas au cours de la prochaine bataille.

 

— Je crois avoir trouvé le piège que je cherchais, dit Ackbar. Le piège qui sonnera le glas des Yuuzhan Vong.

Il flottait dans l’un des bassins de sa maison. Luke, Cal Omas et l’amiral Sovv étaient installés dans de confortables fauteuils placés au bord de l’eau. Dans la pièce flottait un agréable parfum d’iode. Winter se tenait à proximité avec un projecteur holographique.

Elle mit l’appareil en route et une carte stellaire se matérialisa dans l’air au-dessus de la tête d’Ackbar. Luke devina, à la densité des étoiles, qu’il devait s’agir d’une région du Noyau mais la configuration des astres lui était totalement inconnue.

— Voici Treskov Un-Quinze-W, dit Ackbar lorsqu’une étoile à l'arrière-plan se mit à clignoter. C’est une vieille étoile de classe 1 de la bordure la plus éloignée du Noyau Profond. Elle n’a absolument rien d’exceptionnel. Comme vous pouvez le constater avec cette carte en surimpression de nos routes hyperspatiales… (Un ruban doré apparut dans la projection, il s’agissait d’une voie de l’hyperespace qui conduisait jusqu’à l’étoile.)… Treskov se trouve dans un cul-de-sac. Mais, si nous ajoutons le schéma du réseau secret de routes impériales du Noyau rapporté par la princesse Leia de Bastion… (Quatre nouvelles routes apparurent en rouge sur la carte, rayonnant depuis Treskov.)… vous remarquerez que ces voies inconnues qui partent de Treskov s’enfoncent plus avant dans le Noyau. L’une d’entre elles… (Le schéma clignota.)… conduit à une base stellaire impériale baptisée le Croc de Tarkin. La base a été évacuée et mise sous scellés à la fin de la Guerre Civile Galactique mais elle est aujourd’hui totalement intacte et parfaitement utilisable. La base contient également d’immenses réserves cachées de ressources et de fournitures que l’Empire comptait utiliser au cas où les hostilités auraient recommencé.

— Le Croc de Tarkin se trouve dans une impasse, remarqua Sovv. Si nous postons des forces à cet endroit, nos soldats pourraient se retrouver bloqués au cas où l’ennemi déciderait de fermer la route jusqu’à Treskov.

— Tout à fait d’accord, répondit Ackbar. Et j’espère bien que l’ennemi s’en rendra compte, lui aussi.

L’hologramme se modifia, agrandissant la zone qui représentait Treskov et son système. La cinquième planète en partant du centre, une géante gazeuse aux striures blanches irrégulières et aux dégradés de vert, se mit à clignoter.

— Voici Ebaq, une géante gazeuse dotée de onze lunes. Parmi celles-ci, Ebaq Neuf fut jadis exploitée par la Corporation Minière du Noyau Profond pour ses gisements de bronzium. La lune fut excavée lors de l’avènement de Palpatine. Pendant les années de guerre, l’Empire y conserva un poste d’observation et se servit d’Ebaq Neuf comme d’un point de ravitaillement d’urgence. Aujourd’hui, la lune est totalement vide. (Ackbar plongea la tête sous l’eau pour se rafraîchir, se releva et secoua les gouttelettes qui dégoulinaient de son front massif.) Je propose d’occuper la lune à nouveau et de l’utiliser comme appât pour notre piège. Nous devons la transformer en cible à laquelle les Yuuzhan Vong seront incapables de résister. Ainsi, dès que l’ennemi aura lancé son assaut, nous scellerons les accès hyperspatiaux derrière lui et ferons de Treskov un territoire de chasse réduit. Les forces Yuuzhan Vong y seront poursuivies et détruites. (Ackbar se tourna vers Sien Sovv.) Amiral, c’est à vous de rassembler les forces nécessaires à l’élimination des Yuuzhan Vong… (Ackbar se tourna ensuite vers Luke. Et Luke sentit un frisson glacé lui parcourir l'échine.) Maître Skywalker, c’est à vous de rassembler les Jedi qui serviront d’appât.

 

— J’ai tenu à organiser cette réunion du Conseil pour deux raisons, dit Cal Omas. La première, c’est de discuter du plan de l’Amiral Ackbar par rapport à une offensive massive des Yuuzhan Vong. La seconde, c’est que le directeur des services secrets Dif Scaur a une annonce de la plus haute importance à nous faire.

Cal avait l’air anormalement lugubre. En général, lors des réunions, il était détendu, plaisantait et laissait sa grande silhouette dégingandée s’affaler dans son fauteuil. Aujourd’hui, il se tenait raide, pareil à un homme d’affaires. Il était clair que quelque chose d’essentiel était en jeu.

Les membres du Haut Conseil n’étaient pas aussi entassés les uns sur les autres que lors de leur première rencontre. Ils occupaient certes la même pièce et étaient installés autour de la même table immense. Cependant, leurs effectifs étaient un peu réduits : Kyp Durron et Saba Sebatyne se trouvaient sur Kashyyyk avec leurs escadrons. Ils avaient confié leur procuration de vote respectivement à Cilghal et à Luke.

— Je n’ai pas l’intention de communiquer les détails du plan de l'Amiral Ackbar à ce Conseil, dit Cal. La réussite de ce plan dépend de son secret et, de toute façon, je souhaite vous parler d’autre chose. Le plan d’Ackbar implique un redéploiement de nos forces, à savoir supprimer leurs affectations courantes pour les lancer contre les Yuuzhan Vong. Ce qui signifie que la plupart de nos escadrons, aujourd’hui chargés de défendre nos planètes, ne seront plus disponibles en cas d’attaque massive de nos ennemis.

[Si nos flottes répondent à l’offensive, dit Triebakk, les Yuuzhan Vong auront certainement plus urgent à faire que de s’attaquer à nos planètes.]

— Monsieur, nos estimations prouvent que de très nombreux vaisseaux de guerre seront à notre disposition dans six mois standard environ, annonça la douce voix de Ta’laam Ranth. Serait-il possible de retarder notre offensive jusqu’à ce que nous soyons en mesure de défendre nos mondes tout en attaquant les Yuuzhan Vong ?

— Mon collègue Gotal a raison, dit Releqy A’Kla. Il serait peut-être bon de retarder l’offensive jusqu’à ce que nos effectifs soient assez conséquents.

— Le plan de l’amiral est limité dans le temps, dit Luke. Nous possédons actuellement un avantage technologique sur nos ennemis. Nous ignorons combien de temps cet avantage pourra durer, ce qui signifie que l’amiral souhaite que nous passions à l’action dès à présent.

— Tout retarder de six mois… dit l’amiral Sien Sovv. Cela veut dire que la guerre durera six mois de plus que prévu. Six mois supplémentaires de tueries, d’incertitudes et de dépenses. (Il regarda Ta’laam Ranth.) Des milliers de mondes sont menacés. La Flotte serait incapable de les défendre, même avec les renforts prévus au terme de ces six mois.

— Les arguments de mon collègue sont logiques, dit le Gotal. Et je conçois qu’une attaque soit logique.

— Si je puis me permettre de vous interrompre, dit Dif Scaur, j’aimerais faire part à ce Conseil des raisons de ma présence ici. Il se peut que cela ait un impact direct sur le choix de la Nouvelle République à vouloir, ou non, organiser l’offensive.

Luke observa l’homme très maigre avec précaution. Lorsque l’Amiral Ackbar leur avait présenté son plan pour la première fois, Scaur avait été très pointilleux à propos de la notion de temps. Ce qui avait rendu Luke très soupçonneux. Et les soupçons de Luke s’étaient confirmés au cours des réunions suivantes. Visiblement, Scaur avait une idée derrière la tête et cette idée nécessitait un chronométrage précis.

Scaur scruta très attentivement les membres du Conseil les uns après les autres.

— Je suis à présent en mesure de vous révéler l’existence d’une unité secrète au sein des services de renseignement de la Nouvelle République. Nous l’appelons « Alpha Rouge ». Cette unité est dirigée par Joi Eicroth, un xénobiologiste qui a fait partie de l’équipe « Alpha Bleu », autre unité secrète chargée des affaires Yuuzhan Vong. Depuis le début de la guerre, Alpha Rouge a entrepris des recherches sur la biologie des Yuuzhan Vong avec l’assistance d’une équipe de scientifiques fournie par les Chiss.

Nous y voilà, songea Luke. Quelque chose de très important s’était calmement déroulé au cours des deux dernières années et rien, pas même un souffle, n’avait filtré. Dans un gouvernement aussi poreux que celui de Borsk Fey’lya, cela relevait presque de l’exploit.

A moins que Borsk Fey’lya lui-même n’ait jamais été mis au courant… pensa Luke.

— Et pourquoi les Chiss ? demanda Sien Sovv, stupéfait.

— Les Chiss proviennent d’une section éloignée et cachée de la galaxie que les routes d’invasion des Yuuzhan Vong n’ont pas croisée, annonça Scaur. Il semble donc totalement hasardeux que l’ennemi soit parvenu à les infiltrer.

Ce qui signifie, se dit Luke, que Scaur est en contact avec les Chiss depuis un petit bout de temps. Il devait savoir qu’il pourrait compter sur leur efficacité et leur ponctualité.

— Nos xénobiologistes et nos généticiens se sont penchés sur la génétique des Yuuzhan Vong, continua Scaur. (Il posa ses mains pâles sur la table, devant lui.) Ils ont repéré une signature génétique unique dans l’ADN des Yuuzhan Vong. Quelque chose de commun à toutes les espèces Yuuzhan Vong, les plantes, les bâtiments vivants, les vaisseaux, les animaux et les individus Yuuzhan Vong eux-mêmes. Cette signature génétique est totalement absente des plantes, animaux, bactéries et virus rencontrés dans notre galaxie.

— Vous avez donc développé une arme ? demanda Ta’laam Ranth.

Luke détecta de la surprise chez les autres membres du Conseil. Une surprise bientôt suivie d’un sentiment d’appréhension et d’horreur.

— Oui, dit Cal d’un ton lugubre. Nous avons une arme.

— Une arme biologique, ajouta Dif Scaur. Une arme diffusée dans l’air qui ne s’attaquera qu’aux plantes et aux animaux qui possèdent cette signature génétique extragalactique spécifique des Yuuzhan Vong. Si cette arme est dispersée efficacement sur les mondes ennemis, nous estimons que la menace Yuuzhan Vong pourrait être éradiquée en quatre semaines tout au plus, peut-être trois.

— Comment cela, éradiquée ? demanda Cilghal.

— Les Yuuzhan Vong seraient morts, répondit Dif Scaur. Et tout ce que les Yuuzhan Vong ont apporté avec eux. Les plantes, les bâtiments, les engins. (Il haussa les épaules.) Il y aura peut-être des survivants dans les régions les plus isolées. Mais ils seront infectés et seront probablement tentés de rejoindre l’espace Yuuzhan Vong. Si ce n’est pas le cas, nous pourrons toujours les pourchasser.

Il jeta un bref coup d’œil à chacun des membres du Conseil.

— Les armes biologiques sont notoirement capricieuses, reprit-il. Normalement, je ne recommanderais pas leur utilisation sur une population aussi dispersée que les Yuuzhan Vong, mais cette arme particulière sera si efficace que je la considère comme une exception à ma règle de conduite. Les Yuuzhan Vong ne peuvent y échapper. Elle s’accrochera à leurs gènes. Il y a une période d’incubation de quatre ou cinq jours, au cours de laquelle ils ne ressentiront aucun effet, mais ils seront contagieux et contamineront tout ce qui sera à leur contact. Après quoi, leur structure cellulaire commencera à se détériorer. Leurs tissus vivants se fluidifieront et ce fluide lui-même sera infectieux. Ils pourront alors être contaminés par leurs vaisseaux, leurs armes, leurs armures. Leurs maisons. Leur nourriture. Tout leur environnement sera porteur de la maladie. Une fois la détérioration en route, les Yuuzhan Vong mourront en l’espace de trois ou quatre jours.

Luke s’imprégna de toute l’horreur de la situation. L’horreur céda bientôt sa place à la colère. « La colère est une émotion utile. » Il se rappela les propos de Vergere.

Luke se tourna vers Cal Omas.

— Cela fait longtemps que vous êtes informé ? demanda-t-il.

— Depuis l’investiture, répondit Cal.

— Presque trois mois, donc…

Cal regarda Luke droit dans les yeux.

— Maître Skywalker, je suis vraiment désolé. Mais vous comprendrez que le secret de ce projet était essentiel.

— Je comprends votre raisonnement, dit Luke.

Mais je ne suis pas d’accord, pensa-t-il froidement. Parce que si j’avais su tout cela, j’aurais pu préparer des arguments contre ce plan. A l’heure qu’il est, je ne peux avancer que les premiers arguments qui me passent par la tête et espérer que la Force sera avec moi.

Il regarda Dif Scaur.

— Vous souhaitez utiliser la Grande Rivière pour diffuser cette arme, n’est-ce pas ? demanda-t-il.

— Ce serait très commode, répondit Scaur en hochant la tête.

Luke secoua la tête.

— Les Jedi ne prendront pas part à tout ceci. Je vous saurai gré de ne pas faire appel à nous.

Scaur n’eut pas l’air surpris.

— La Grande Rivière n’est pas vitale à ce projet. Nos réseaux de renseignements s’étendent à présent jusque dans l’espace Yuuzhan Vong. La Hotte peut très bien déclencher l’arme au moyen de missiles tirés sur des cibles ennemies, des bases spatiales, des vaisseaux ou des planètes. Les Bothan eux-mêmes ont contribué à la crédibilité d’Alpha Rouge en déclarant l’ar’krai sur les Yuuzhan Vong. Les réseaux d’espionnage Bothan sont réputés pour leur efficacité et Alpha Rouge leur permettrait d’atteindre leurs buts dans cette guerre. (Il haussa ses maigres épaules.) Les Yuuzhan Vong en personne se chargeront de la distribution pour notre compte puisque les vaisseaux infectés et leurs équipages voyagent de planète en planète.

Ta’laam Ranth tourna ses yeux rouges vers Luke.

— Maître Skywalker n’est visiblement pas d’accord avec ce plan, dit-il. J’aimerais qu’il nous expose ses arguments.

Luke regarda les membres du Conseil.

— Les Jedi existent pour préserver la vie. Ce massacre d’une espèce tout entière est contraire à nos principes. (Il marqua une pause, inspira profondément et invoqua la Force, espérant qu’elle contribuerait à rendre son exposé aussi brillant qu’il le souhaitait.) Permettez-moi de vous signaler que les Yuuzhan Vong ne sont pas aussi différents de nous que cela. Ils sont intelligents, on peut les éduquer. Si, par exemple, vous preniez un de leurs enfants et que vous l'éleviez, cet enfant ne serait pas très différent de l’un des nôtres. Leur caractère malfaisant n’est pas un trait atavique de l’espèce. Ce sont leur gouvernement et leur religion qui les ont rendus si agressifs. Notre tâche serait plutôt de mettre un terme à ce gouvernement et à cette religion, pas d’éliminer totalement tous ces gens qui n’ont pas d’autre choix que de se plier à la volonté de leurs dirigeants.

— C’est pourtant ce que les Yuuzhan Vong ont fait à nos planètes, non ? remarqua Ayddar Nylykerka. Ils ont implanté sur nos mondes des formes de vie qui ont éliminé tout ce qui se trouvait là.

— Ce qui représente donc un argument de plus contre l’emploi d’une telle arme biologique. (L’affirmation de Ta’laam Ranth surprit tout le monde autour de la table.) Si nous lançons cette arme contre eux, qui dit qu’ils ne se retourneraient pas contre nous ? Nos planètes pourraient succomber aux armes chimiques Yuuzhan Vong.

— Alpha Rouge représente une défense parfaite contre une attaque de ce type, dit Scaur. Alpha Rouge éliminera tout assaut biologique que les Yuuzhan Vong pourraient lancer contre nous.

Triebakk poussa un rugissement qui fit taire tout le monde.

[Je m’y connais suffisamment en science, dit-il. Et je connais la signification du terme retour de souffle. (Il regarda les autres, un par un.) Pour ceux qui ne le comprendraient pas, cela décrit les effets secondaires et indésirables d’une arme se retournant contre son utilisateur. (Il posa les yeux sur Dif Scaur.) Vous projetez de diffuser Alpha Rouge dans l’espace occupé par les Yuuzhan Vong. Des milliards et des milliards et des milliards de bactéries vivantes, de virus, ou bien de quoi que ce soit d’autre contenu dans Alpha Rouge, libérés sur des écosystèmes viables. (Il secoua sa grosse tête hirsute.) Vous ne pouvez pas m’empêcher de penser qu’Alpha Rouge, à un moment ou à un autre, subira une quelconque mutation au cours de l’épidémie. Et vous ne pouvez certainement pas m’assurer que l’une ou l’autre de ces mutations ne nous sera pas fatale. Le retour de souffle d’Alpha Rouge pourrait bien tous nous tuer.]

— Les Chiss m’assurent que c’est hautement improbable, dit Scaur.

— Improbable, dit Luke. Mais pas impossible.

Scaur haussa les épaules.

— Si cela vous inquiète, nous pourrions placer les mondes occupés par les Yuuzhan Vong en quarantaine jusqu’à ce que nous soyons sûrs de leur viabilité. D’accord, les réfugiés ne seront pas particulièrement ravis de ne pas pouvoir regagner leurs planètes natales respectives. Mais si nous remportons la victoire, nous pourrons probablement réussir à leur faire entendre raison.

Scaur avait donc anticipé chacun des arguments. Il avait eu des mois pour planifier tout cela. Luke n’avait eu que quelques minutes.

— Vous ne nous avez pas parlé des capacités biologiques des Yuuzhan Vong eux-mêmes, s’enquit Luke.

Scaur souleva un de ses sourcils.

— Je ne vous comprends pas, Maître Skywalker.

— Les Yuuzhan Vong disposent d’un formidable savoir en matière de biologie, dit Luke. Tout ce qu’ils fabriquent se fait par le truchement de la biotechnologie. Comment pouvez-vous affirmer qu’ils n’ont pas prévu ce type d’attaque ? Comment savez-vous qu’ils ne s’y sont pas préparés ? Comment pouvez-vous être sûr que, dès qu’ils apprendront que nous sommes prêts à lancer ce génocide, ils ne lanceront pas eux-mêmes des représailles ?

Pour la première fois, Dif Scaur eut l’air déconcerté.

— Nous n’avons détecté aucun signe nous indiquant ce que vous avancez.

[Vous ne connaissez peut-être pas tout des Yuuzhan Vong, dit Triebakk. Je pense qu’au mieux vous possédez un savoir superficiel de leur système immunitaire. Imaginez qu’ils soient prêts à faire face… Que ferez-vous alors ?]

Scaur hésita. Un muscle au coin d’un de ses yeux tressaillit.

— Nous ne possédons aucune preuve nous indiquant qu’ils sont prêts.

— Mais en avez-vous cherché une ? demanda Luke.

Scaur sembla piqué au vif.

— Bien sûr que nous avons cherché ! Nous avons investi leurs laboratoires, nous les avons étudiés. Nous disposons d’un grand nombre de connaissances au sujet des armes qu’ils emploient contre nous. Nous avons capturé certains de leurs vaisseaux, nous les avons examinés.

— Notre connaissance de l’ennemi est déficiente, dit Ta’laam Ranth. (Il tourna sa tête à double corne de gauche à droite, pour observer tout le monde.) Je pense qu’il serait clairement illogique de mettre ce plan à exécution.

Les traits de Dif Scaur se raidirent, ce qui ne fit qu’accentuer le masque mortuaire qui se dessinait déjà sur son visage.

— Cette arme a été testée en bonne et due forme, annonça-t-il. Y compris sur des sujets vivants. (Il leva une main pour interrompre Luke, prêt à protester avec véhémence.) Sur des guerriers que nous avions capturés, dit-il. Nous avons été obligés de les maintenir sous sédation après leur emprisonnement car, dès qu’ils se réveillaient, ils essayaient immanquablement de se suicider. Nous avons infecté un petit nombre de ces sujets avec l’arme. Et l’arme… (Il inspira profondément.) Et l’arme fonctionne. Je regrette énormément d’avoir eu à le faire mais ce test était nécessaire. La mort de ces guerriers a été aussi indolore et aussi humaine que possible. (Il posa les mains sur la table devant lui.) Je peux assurer à vous tous, ici présents, qu’Alpha Rouge fonctionnera et produira les effets recherchés.

— On ne peut pas cautionner une chose pareille ! dit Luke, qui ne s’était jamais senti autant en colère. C’est digne de Palpatine !

Dif Scaur lui adressa un regard furieux.

— Non, ce n’est pas digne de Palpatine, répondit-il. Palpatine aurait tout simplement testé cette arme sur la population d’une planète entière. Il l’aurait ensuite utilisée comme moyen de terreur pour tenir les autres populations sous son joug. Je saurai gré à Maître Skywalker d’éviter ce genre de comparaison odieuse.

Il y eut un long moment de silence puis Cal prit enfin la parole :

— Peut-être devrions-nous voter. Qui est pour ?

Dif Scaur leva la main en premier. Nylykerka le suivit. Sien Sovv, après avoir hésité, fit de même.

Luke garda les mains à plat sur la table, comme le reste des Jedi.

— J’ai la procuration de Saba Sebatyne et je vote contre cette motion, dit-il.

— J’ai celle de Kyp Durron, déclara à son tour Cilghal.

— La motion échoue… déclara Releqy A’Kla.

Cal Omas se tourna alors vers Luke, les yeux chargés de regrets.

— Je suis désolé, Luke, dit-il. Mais nous perdons cette guerre et nous ne pouvons pas nous permettre de négliger la moindre option. Surtout lorsqu’il s’agit d’une arme qui mettrait fin aux souffrances de notre peuple. (Il pivota pour s’adresser à Dif Scaur.) Cette assemblée est consultative, pas législative. En tant que Chef de l’Etat, j’ordonne à Dif Scaur de continuer les travaux sur Alpha Rouge.

Luke resta assis, complètement assommé. Dif Scaur regarda ses mains afin de dissimuler le triomphe froid qui se lisait dans ses yeux.

Cal fronça les sourcils, ce qui produisit de profonds sillons de tristesse sur son front.

— C’est une tragédie, quelle que soit la façon dont on analyse la situation, dit-il. Mais nous n’avons le choix qu’entre une tragédie et une autre et, sincèrement, je préfère que cela soit une tragédie pour les Yuuzhan Vong plutôt que pour nous. (Il regarda Dif Scaur.) Quand pouvez-vous être prêt ?

— Nous ne disposons que d’une petite quantité de produit à l’heure actuelle, répondit Scaur. Il va nous falloir en fabriquer bien plus, au moins quelques tonnes. Le laboratoire secret alloué à Alpha Rouge n’est pas équipé pour produire de telles quantités. (Il releva la tête vers Cal Omas.) Il y a une vieille frégate Nebulon-B en orbite au-dessus de Mon Calamari qui sert de vaisseau hôpital. Si nous pouvions transférer tous les patients à la surface, Alpha Rouge pourrait tirer parti de l’isolement du navire ainsi que de son environnement stérile. Une fois installés et la production lancée, je pense que nous disposerions d’assez de matériel pour démarrer la diffusion sous deux semaines.

Cal se tourna vers les autres.

— Dans ce cas, dit-il, nous allons retarder la mise en route du plan d’offensive de l'Amiral Ackbar. Autant rester pour l’instant sur la défensive et laisser Alpha Rouge gagner la guerre à notre place. (Il observa chacun des membres de l’assistance.) Bien entendu, personne ne doit parler de ceci avant la fin de la guerre. En espérant que celle-ci arrivera vite.

Il mit prestement fin à la réunion du Conseil, jeta un dernier regard chargé de regrets à Luke, se leva et sortit rapidement, immédiatement suivi par Dif Scaur.

Se sentant soudain âgé de plus de cent ans, Luke se leva péniblement de table. Triebakk et les autres Jedi vinrent l’entourer.

— Qu’est-ce qu’on peut faire ? demanda Cilghal.

Luke se força à hausser les épaules.

— Essayer de faire changer Cal d’avis… Nous avons deux semaines pour ça…

[Si vous souhaitez entreprendre autre chose…] dit Triebakk, laissant sa phrase en suspens.

Luke secoua la tête.

— Merci pour la proposition, mais non.

S’il fallait entreprendre quelque chose, Luke le ferait lui-même et en endosserait, seul, la responsabilité. Mais il savait que, ce faisant, il renoncerait à tout ce pour quoi il s’était battu au cours de sa longue et astreignante existence.

 

Luke rentra chez lui après la réunion du Conseil. L’horreur et la colère hantaient toujours son esprit. Il serait incapable de faire quoi que ce soit en restant dans cet état. Il s’assit donc sur le plancher et commença à employer des techniques de relaxation afin de contrôler le flux de ses pensées et de ses émotions.

Il perçut la présence de Mara dans la Force avant qu’elle ne pénètre dans l’appartement. Elle marqua une pause sur le pas de la porte et laissa les ondes de sa propre perception envelopper son mari avec douceur. Puis elle ferma la porte, rangea la mallette qu’elle transportait et vint s’asseoir par terre avec Luke. Elle se plaça derrière lui et posa les mains sur ses épaules. Elle entreprit de lui masser les muscles de la nuque et du dos, raidis par la tension. Luke s’abandonna au rituel et laissa les doigts de son épouse transformer ses muscles en bouillie. Il se mit à respirer en rythme avec elle. Mara se rapprocha de lui et se pressa contre son dos. Elle passa ses bras autour de sa taille et colla son menton contre son épaule.

— Mauvaise nouvelle ? demanda-t-elle.

Luke hésita, mais il savait qu’il pouvait faire confiance à Mara. De plus, l’horreur de la situation était trop intense pour qu’il garde tout cela pour lui. Il lui expliqua le principe d’Alpha Rouge.

Mara se recula légèrement et réfléchit au problème.

— Qu’est-ce qu’on peut faire ? demanda-t-elle.

— Essayer de faire changer Cal d’avis…

Elle reposa son menton sur son épaule. Sa voix ne fut plus qu’un souffle à l’oreille de Luke.

— Et si Cal ne change pas d’avis ?

Luke inspira profondément.

— Je ne sais pas… Nous pourrions essayer de saboter le projet, mais, à moins de tuer les scientifiques impliqués, il y aura toujours un moyen de reprendre leur travail. Et même si nous devions tuer les scientifiques, ou bien les enlever et les emprisonner quelque part, d’autres savants prendraient leur place et continueraient les recherches. Le problème, c’est qu’une fois qu’on sait qu’il est possible de fabriquer cette arme, n’importe qui, avec l’équipement adéquat, est à même de la produire. (Il secoua la tête.) Toute ma vie, j’ai travaillé à reconstruire l’Ordre Jedi. Maintenant, nous avons enfin un gouvernement disposé à collaborer avec nous, un gouvernement que nous avons aidé à faire élire, un gouvernement qui a accepté de créer un Conseil. Un gouvernement que nous avons juré de soutenir. Comment puis-je me retourner contre la Nouvelle République dès la première crise ? (Il prit la main de Mara dans la sienne.) Cela sonnerait le glas des Jedi. Nous serions déclarés hors-la-loi. Nous deviendrions aux yeux de tous exactement pareils au portrait dressé par Fyor Rodan.

Mara l’observa, préoccupée et triste.

— Ce que tu es en train de me dire, c’est qu’il n’y a aucun moyen d’arrêter le projet Alpha Rouge, qu’au mieux, nous pouvons juste le retarder. Mais on ne peut tout de même pas, non plus, rester les bras croisés à ne rien faire, non ?

— On peut toujours protester. On peut refuser de prendre part à tout ceci. Pour l’instant, c’est tout ce que j’arrive à imaginer.

— Bon, d’accord, on peut protester. En public ?

Luke secoua la tête.

— Non, pas vraiment. Si on fait ça en public, les Yuuzhan Vong seront au courant. Ils pourraient nous frapper en premier avec leurs armes bactériologiques. Ce serait une catastrophe.

— Tu m’as bien dit que Triebakk était au courant et que Ta’laam Ranth avait voté avec vous, c’est cela ?

— Oui.

— Il faut que tu les contactes. Essaie de voir s’ils peuvent t’aider à faire changer d’avis tous les autres membres du Haut Conseil.

Luke hocha la tête.

— Hum… Créer un groupe de pression relativement discret… Dif Scaur m’a pris par surprise, je n’avais pas eu le temps de préparer mes arguments. (Il hocha la tête à nouveau et embrassa Mara sur la joue.) Merci.

— Je t’en prie. (Elle se redressa et l’aida à se lever.) Kam Solusar vient de m’envoyer de nouveaux hologrammes de Ben, tu veux les voir ?

— Bien entendu !

Observer l’image tridimensionnelle de Ben marchant sur le tapis à quatre pattes procura à Luke autant de tristesse que de joie. Mais cela permit au moins de lui changer un peu les idées. Il regagna la chambre pour se laver, se changer et aider Mara à préparer le dîner. C’est alors qu’il se figea, apercevant une masse de plumes, immobile, dans la chambre d’amis.

Vergere. Elle s’était trouvée dans l’appartement pendant tout ce temps. Elle était recroquevillée sur elle-même en posture de méditation, les jointures relevées et la tête rentrée dans sa poitrine. Horrifié, Luke rejoignit Mara.

— Vergere est dans sa chambre. Je n’ai absolument pas senti sa présence en rentrant tout à l’heure.

Mara écarquilla ses grands yeux verts.

— Moi non plus. Elle s’était donc encore rendue invisible.

— Tu crois qu’elle nous a entendus ?

Mara réfléchit quelques instants.

— On ne peut pas dire qu’on ait hurlé. Nous étions seulement à quelques centimètres l’un de l’autre et nous chuchotions. Comment aurait-elle pu entendre quoi que ce soit ?

— Avec elle, je me méfie de tout…

— Moi aussi, dit Mara, le regard dur.

— Il va falloir la surveiller attentivement. A moins que… Tu crois que Nylykerka pourrait de nouveau la placer en détention ?

— Et lui donner la possibilité de préparer une spectaculaire évasion ? Et puis, imagine qu’elle ne veuille pas y retourner… On fait quoi ? On se bat contre elle ?

— Bon, alors surveillons-la, décida Luke. Surveillons-la de très près.

La voie du destin
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